À notre échelle, il est facile de distinguer un liquide d’un solide : si on leur applique une contrainte, l’un s’écoule alors que l’autre se déforme, de façon élastique ou plastique. Et si certains systèmes peuvent exhiber des comportements originaux (les glaciers, les milieux granulaires, les émulsions et mousses, etc.), la mécanique des milieux continues donne un cadre qui permet d’englober la pluralité de ces phénomènes à l’échelle macroscopique. Qu’en est-il dans l’infiniment petit ? Ces catégories si bien comprises restent-elles valables à l’échelle d’une assemblée de quelques atomes ?

Des chercheurs de l’équipe Micromégas du LPENS (ENS, CNRS, Sorbonne Université, Université de Paris) ont étudié le comportement d’un nano-fil d’or lorsque celui-ci est soumis à une excitation dynamique à l’une de ses extrémités. Ces nano-fils, ou jonctions d’or, sont composés d’une poignée d’atomes, et leur section transverse a un diamètre d’un nombre parfaitement déterminé d’atomes connu grâce aux propriétés électriques du fil. Comment exciter une jonction sub-nanométrique et mesurer ses déformations en temps réel ? Cette prouesse expérimentale a été réalisée grâce à un microscope à force atomique très spécial : les chercheurs ont ajouté à son extrémité un diapason, permettant à la fois d’exciter le fil et de mesurer sa réponse mécanique ! Un diapason ayant un excellent facteur de qualité, les chercheurs peuvent associer les variations de sa fréquence de résonance mesurée avec une grande précision à la réponse mécanique de la jonction.

Dans leur étude publiée dans Nature [1], les chercheurs ont caractérisé le comportement d’une jonction lorsqu’elle est soumise à une contrainte. Comme les solides habituels, le nano-fil s’étire de façon élastique à faible excitation (une élongation <5%), puis entre dans un régime plastique lorsque l’excitation se fait plus intense (élongation entre 5 et 10%). Mais de façon surprenante, en augmentant cette excitation, le nano-fil cesse d’être un solide pour répondre comme un fluide visqueux de viscosité constante, résultat contraire au comportement habituel des solides cristallins sans défaut ! Ce comportement est étonnement semblable à celui des mousses et des émulsions bien que 8 ordres de grandeur de taille ne les séparent.

Cette première étude de la rhéologie d’une jonction d’atomes d’or, rendue possible grâce à un détecteur de très grande précision et stabilité, démontre un phénomène contre-intuitif de « fluidification » des solides à l’échelle atomique. Cette découverte amène à repenser la modélisation classique d’un solide sous contrainte, et permet de mieux appréhender le phénomène de friction à l’échelle macroscopique.

 

Figure : Réponse mécanique de nano-fils à section transverse identique, pour une amplitude d’excitation a variable. En noir la partie réelle de la réponse et en rouge la partie dissipative.
Les trois régimes élastique, plastique et visqueux sont coloriés respectivement en vert, rouge et bleu. Le plateau de la réponse dissipative est en particulier caractéristique d’un régime visqueux.

 

En savoir plus :
[1] Comtet et al., Atomic rheology of gold nanojunctions, Nature 569, 393–397 (2019).

Informations complémentaires :
Laboratoire de Physique de L’Ecole normale supérieure (LPENS, ENS Paris/CNRS/Sorbonne Université/Université de Paris)


Auteur correspondant :
Alessandro Siria

 

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