Pour une consommation énergétique équivalente à deux bananes par jour, le cerveau humain est capable de réaliser un grand nombre de tâches complexes. Sa grande efficacité énergétique dépend notamment de son unité de base, le neurone, qui possède une membrane pourvue de pores nanométriques, appelés canaux ioniques, qui s’ouvrent et se ferment en fonction des stimuli reçus. Les flux d’ions obtenus créent un courant électrique responsable de l’émission de potentiels d’action, des signaux permettant aux neurones de communiquer entre eux.
De son côté, l’intelligence artificielle ne peut réaliser toutes ces tâches qu’au prix d’une consommation énergétique des dizaines de milliers de fois supérieure à celle du cerveau humain. Tout l’enjeu de la recherche aujourd’hui est donc de concevoir des systèmes électroniques aussi économes en énergie que le cerveau humain, par exemple en utilisant des ions, et non des électrons, comme vecteurs de l’information. Pour cela, la nanofluidique, qui étudie les comportements de fluides dans des canaux de dimensions inférieures à 100 nanomètres, offre de nombreuses perspectives. Dans une nouvelle étude, une équipe du Laboratoire de physique de l’ENS (CNRS/ENS-PSL/Sorbonne Université/Université de Paris) montre comment construire un prototype de neurone artificiel, constitué de fentes en graphène extrêmement fines dans lesquelles est confinée une couche unique de molécules d’eau. Les scientifiques ont montré que sous l’effet d’un champ électrique, les ions issus de cette couche d’eau s’assemblent en grappes allongées et développent une propriété connue sous le nom d’effet memristor : ces grappes gardent en mémoire une partie des stimuli reçus dans le passé. Pour reprendre la comparaison avec le cerveau, les fentes en graphène reproduisent les canaux ioniques, les grappes, les flux d’ions. Et à l’aide d’outils théoriques et numériques, les scientifiques ont montré comment assembler ces grappes pour reproduire le mécanisme physique de l’émission des potentiels d’action, et donc la transmission d’information.
Ce travail théorique se poursuit du côté expérimental au sein de l’équipe française, en collaboration avec des scientifiques de l’université de Manchester (Royaume-Uni). Le but est désormais de prouver expérimentalement que de tels systèmes sont capables d’implémenter des algorithmes d’apprentissage simples, qui pourront servir de base aux mémoires électroniques de demain.
Ces travaux ont également fait l’objet d’un communiqué de presse du CNRS : https://www.cnrs.fr/fr/un-neurone-ionique-artificiel-pour-les-memoires-electroniques-de-demain
Prototype de neurone artificiel : les fentes nanofluidiques peuvent jouer le rôle des canaux ioniques, qui permettent aux neurones de communiquer. Le transport d’ions à l’origine de cette communication est assuré par des grappes d’ions.
© Paul Robin, Laboratoire de physique de l’ENS
En savoir plus :
Modeling of emergent memory and voltage spiking in ionic transport through angstrom-scale slits, Paul Robin, Nikita Kavokine and Lyderic Bocquet. Science, 6 August 2021.
DOI: 10.1126/science. abf7923
Informations complémentaires :
Laboratoire de physique de L’Ecole normale supérieure (LPENS, ENS Paris/CNRS/Sorbonne Université/Université de Paris)
Auteur correspondant : Lydéric Bocquet
Contact communication : L’équipe de communication